Loin de moi l’idée de vouloir me faire frapper par mes ami-es qui liront ces lignes mais j’avais envie de discuter un peu de ce sujet aujourd’hui. C’est la première fois que je voyage aussi longtemps et je pense que peu de personnes dans mon entourage vont comprendre ce sentiment.
« Mais enfin ! Tu fais du WWOOFing à 1200km de chez toi ! Comment est-ce que tu peux t’ennuyer ? 😱 » Difficile à expliquer. D’abord, je ne pense pas que l’ennui soit une étape ou un moment négatif à vivre. (La personne chez qui on vit pour l’instant déteste s’ennuyer, elle a même peur de ça je pense.) Je pouvais ressentir ça chez moi, dans mon appartement mais ça me dérangeait moins. Je savais que ça allait passer, que je ne « ratais » rien car ça faisait partie de ma vie normale. Mais quand tu es en voyage, tu te dis que tu veux profiter de chaque moment pour découvrir, pour apprendre, pour rentabiliser ta décision de partir. Tu sais que tu as de la chance de pouvoir voyager (et encore plus cette année), tu as envie de montrer que c’est tout rose-papillon sur tes réseaux sociaux mais en vrai, que je sois en voyage ou à la maison, j’ai des jours avec et des jours sans.
Cette période creuse, je la vis depuis quelques semaines déjà, peu après avoir quitté Ulvik en fait. J’avais besoin de vacances après ces six premières semaines où j’ai beaucoup appris et travaillé. Les deux jours à Lillehammer étaient trop courts et puis après dix jours à Kvam, on a du partir en précipitation vers notre nouvelle ferme où la dame nous disait qu’elle n’avait pas vraiment besoin de WWOOFers en ce moment mais que ça lui faisait plaisir d’en avoir quand même. Finalement, on a eu une belle liste de choses à construire et à réparer lorsqu’on est arrivés.
Mais voilà. On est quasi arrivés au bout et il n’y avait pas toujours du travail à réaliser pour deux. Je ne vais pas te mentir : la construction d’enclos, de portes, la réparation de barrières,… c’est pas tellement ma zone de génie. Ce n’est pas là où je suis le plus efficace et utile. Donc, je suis docilement (lol. le plus docilement possible) les instructions que mon Cher et Tendre me donne pour l’assister au mieux mais … ça m’ennuie. 😅 Et en même temps, le travail de ferme, c’est ça aussi.
La météo joue aussi beaucoup. Il fait gris, il pleut depuis trois semaines. On a eu très peu de froid et de neige jusque là. On a seulement fait trois sorties depuis notre arrivée et ça fait un mois que nous sommes là. Le rythme est décousu, nos jours de congé ne tombent pas à des moments fixes. La seule routine à laquelle se rattacher se rapporte aux tâches quotidiennes. Nourrir et abreuver les poules, les chats et les minis (les deux poneys nains et le mouton domestique), idem avec les chevaux laissés à l’intérieur. Faire le tour des pâtures pour vérifier qu’ils ont bien tous à boire et assez à manger pour la journée. Puis se lancer dans une des tâches de la liste ou bien faire du nettoyage de boxes et d’abris. Le soleil se lève à 9h, il fait nuit à 15h20. Quand tu termines ta journée vers 16h, tu as l’impression qu’il est déjà 20h tellement la nuit est noire et profonde…
L’ennui et la culpabilité
Je me serais bien passée de ce sentiment de culpabilité que je connais bien quand je ne fais rien de productif mais il est bel et bien au rendez-vous. Surtout que j’ai des projets persos, des articles à te partager (mais je n’arrive pas à faire des photos qui me satisfassent donc ça me gave), des vidéos à tourner, un autre vlog à monter … Mais pour ça, j’ai besoin de m’accorder officiellement du temps dans ma tête et qu’on me l’accorde aussi tout court. Car quand je suis en journée de travail, je culpabilise de vouloir me lancer dans autre chose mais je suis inutile sur la ferme… Roh, tu vois comme c’est compliqué parfois haha. 😁
J’ai quand même lu un article intéressant du magazine Sciences Humaines: « Pourquoi voyageons-nous ? » cette semaine. Jean-Didier Urbain y explique:
Il fut ainsi un temps, de Montaigne aux curistes du XIXe siècle, où la visée du voyage était d’abord hygiéniste : on voyageait pour sa santé. Et l’on en est maintenant à voyager en craignant de la perdre, prenant parfois d’excessives précautions afin de prévenir les risques de maladie ! De même, côté découverte, est-on passé du plaisir à la peur. Si l’on partait jadis à l’aventure, avec un certain goût de l’imprévu, l’on s’en va aujourd’hui bardé d’informations, de prévisions, de réservations et d’assurances en tous genres. Rien n’est plus désagréable pour cet « aventurier » contemporain, toujours en lien sur le Net, avant, pendant, après, plus jamais détaché, déconnecté, donc réellement éloigné quand il voyage, qu’un imprévu ! C’est qu’un tel incident, échappant à sa prospective, pourrait lui faire perdre son argent, ses liens, son réseau, ou pire : son temps ! Ainsi en va-t-il donc désormais dans une « société malade du temps » (Nicole Aubert, Le Culte de l’urgence. La société malade du temps, Flammarion, 2003) dont même le voyageur de loisir, pressé, stressé, n’a de cesse de retisser une « toile » dont il ne veut plus sortir…
Jean-Didier Urbain, « Pourquoi voyageons-nous? », Sciences Humaines, Août-Septembre 2012
Ça a vraiment résonné en moi et c’est là que je me rends compte encore de tout le chemin qu’il reste à déconstruire autour du capitalisme intériorisé en moi. Car depuis petit-es, nous sommes pensés pour être des travailleur-euses (des travailleur-euses utiles même!) et oui, nous planifions tout pour éviter au maximum les imprévus. Qui peut dire (ou oserait dire) à son employeur-e : « Désolée, chef-fe, j’ai eu des complications en vacances. Je dois rester 3 semaines de plus pour régler ça. Laissez mon taf sur mon bureau, je verrai ça en rentrant. » ? Chaud quand même, c’est de ce travail que dépend souvent le reste de notre vie économique … sans compter que les jours de vacances sont précieux pour nombre d’entre nous qui n’en avons qu’un nombre limité par an, malheureusement ! Donc, il me semble légitime de vouloir passer un bon moment en prévoyant bien notre voyage, sans doute loin de l’idée fantasmée du voyageur du XIXe siècle qui part à la rencontre de moult imprévus. On fait avec ce qu’on a au XXIe, désolée mec. Cependant, cela montre bien notre configuration de consommateurs-travailleurs dans ce genre de moments.
J’essaie donc de sortir de cette rentabilité du voyage, en te partageant même mon ennui vois-tu (en plus de binger des contenus divertissants sur Youtube et Netflix). Est-ce que ça marche? 🙂 De mon côté, je vais me laisser un peu porter par tout ça et je reviendrai probablement t’en parler ici, soit à l’écrit, soit en vlog. D’ailleurs, si tu ne l’as pas encore vu, j’ai partagé un article-vlog sur Bergen il y a une dizaine de jours. 🙂
Et toi, dis-moi: as-tu déjà expérimenté l’ennui en voyage ?
Je me retrouve très bien dans tes réflexions. C’est vrai qu’il est difficile de s’extraire de ce carcan sociétal qui veut à tout prix rentabiliser le temps et soupeser le moindre choix effectué, même en voyageant librement. Personnellement, j’essaie de me réconcilier petit à petit avec l’ennuie, avec tout ce qui se passe entre deux clichés parfaits… Beaucoup de créativité peut naitre de ce moment. Et finalement, ce n’est peut-être que l’expérience du temps qui passe…normalement (et non à toute vitesse entre 36000 pensées et activités). Mais je sais à quel point ce sentiment peut être fustrant même en voyage. Et la culpabilité qui émerge parfois de notre regard qui s’habitue à tout. Se détacher de tout ça, c’est sans doute cela voyager. Je ne l’ai pas expérimenté souvent. Mais je sais que mes plus beaux souvenirs de voyage sont nés d’imprévus et de pas de côté. Je suis aussi tout à fait d’accord avec la citation de Jean-Didier Urbain ! Merci pour ce chouette partage 🙂
Hello Marie ! Je pensais t’avoir répondu et en fait … pas du tout ! 🙊 Désolée !
Merci pour ton commentaire. 😊 Oui, c’est vraiment pesant de te dire que tu pars en voyage/vacances pour changer de rythme et que finalement, inconsciemment, tu reproduis exactement ce que tu fais chez toi. C’est dire à quel point on est programmés…
Le lien entre ennui et créativité existe, on est nombreux à l’expérimenter et j’avais lu plusieurs articles à ce sujet, c’est bénéfique de pouvoir s’ennuyer, ça laisse du temps, de l’espace…